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vendredi 5 février 2016

Vis ma vie de sénateur

COULISSES - Pour leJDD.fr, Article du 26 septembre 2014, 

Bernard Piras, qui se définit comme l'un des meilleurs connaisseurs du palais du Luxembourg, nous dévoile les secrets du Sénat. Celui qui quittera "sans regret" l'institution après 18 ans de service livre ses meilleures anecdotes et analyse l'exercice du pouvoir.

Bernard Piras

Dans quelques jours,il quittera son bureau du 5e étage du Sénat. Les cartons sont déjà prêts, le bureau - dont il gardait jusque-là précieusement la clef - est vidé. D'ici à mardi, Bernard Piras prend le temps de recevoir, et de saluer ceux avec qui il a travaillé pendant 18 années. Le 4 septembre 1996, à la suite du décès de Gérard Gaud, dont il était suppléant, il faisait son entrée dans l'hémicycle. Le socialiste - élu de la Drôme - l'assure : il est l'un de ceux qui connaît le mieux le palais du Luxembourg. Au cours de ses trois mandats, il a pu observer et participer à la vie politique du pays. L'occasion de revenir sur ces longues années, qui sont "passées trop vite" à ses yeux. Mais à 72 ans, Bernard Piras estime désormais qu'il est temps de passer la main.


Les sénateurs fainéants
"Nous sommes très actifs"
"L'image du Sénat qui ne travaille pas est complètement fausse, c'était peut-être celle du Sénat de la IIIe ou IVe République. Mais nous ne sommes pas des fainéants, nous sommes très actifs. Moins virulents, mais aussi passionnés que les députés. Le rythme assez chargé. Mardi, mercredi et jeudi au Sénat. Vendredi, samedi, dimanche et lundi dans la circonscription. A la mairie pour moi (maire de Bourg-lès-Valence de 2001 à 2014, Ndlr). Avec très peu de jours de repos. Un train de sénateur? J'invite les gens à venir avec moi du lundi matin jusqu'au dimanche soir. Et ils verront. Les journées sont toutes différentes. Le rythme très discontinu. La difficulté est finalement de s'y adapter. Parfois, vous terminez la séance à 2h30 et le lendemain vous êtes en commission à 9h30."

Les siestes en séance
"Jamais, mais j'ai réveillé des sénateurs"
"Jamais, mais j'en ai réveillé. Il m'est arrivé d'être prêt de m'endormir, mais je suis sorti de l'hémicycle. Je suis allé prendre un café, me dégourdir les jambes... Mais cela ne me choque pas. Je trouve que c'est facile de se moquer. Il m'est arrivé dans ma vie d'élu local, d'assister à une manifestation et de m'assoupir."

L'âge limite
"On se demande ce que certains font encore là"
"J'avais dit qu'après 70 ans (il a eu 72 ans en juin, Ndlr), je trouvais qu'il fallait avoir la sagesse de céder la place à d'autres. J'ai aussi abandonné mon mandat de maire au mois de mars (son successeur n'a pas été élu et la mairie est passée à droite, Ndlr). C'est dans ma tête depuis très longtemps, cela ne s'est pas fait au dernier moment. Quand j'ai été élu en 2008, j'avais prévenu mes collaborateurs pour leur dire que ce serait mon dernier mandat. Beaucoup devraient s'inspirer de cette doctrine. Généraliser serait une erreur. Mais il est vrai qu'on se demande ce que certains font encore là."

Les nuits au Sénat
"J'ai gardé le même bureau pendant 18 ans"
"J'ai passé de nombreuses nuits dans mon bureau, à dormir sur un petit canapé. Les femmes de ménages venaient faire le ménage à 7h30, alors je mettais un panneau "Ne pas déranger" devant la porte. J'ai gardé le même bureau pendant 18 ans. J'ai eu l'occasion de changer, mais je n'avais pas envie. Je m'y trouvais très bien. Au cinquième étage, face au Sacré cœur, avec une vue superbe."

Le souvenir le plus marquant
"Le texte sur le génocide rwandais à 4h30 du matin"
"Je m'étais battu à titre personnel pour la reconnaissance du génocide rwandais. En 1998, l'Assemblée nationale avait voté le génocide arménien. Mais ni la commission des présidents, ni le gouvernement - Jacques Chirac, Lionel Jospin, Hubert Védrine - ne voulait inscrire le texte au Sénat. Nous avons présenté une proposition de loi signée par 30 sénateurs pour demander de l'étudier en séance, à la fin de l'ordre du jour ordinaire. La première fois, cela a été niet. Mais un certain nombre de collègues d'autres groupes politiques sont venus me voir pour me dire que le texte était socialo-communiste et que s'il était issu de tous les groupes, davantage de voix l'auraient sans doute soutenu. On a alors repris les choses et en 2000, on a redéposé le texte de loi. L'ordre du jour s'est terminé vers 1h30 du matin. Et là, on a pu discuter. Les tribunes étaient pleines. Je crois qu'on a voté le texte de loi vers 4h30. C'est une certaine fierté. L'un de mes meilleurs souvenirs. La loi a été votée en 2001."

Le pire souvenir
"L'inversion du calendrier présidentielle - législatives"
"Celui qui m'a chagriné? Même si je me suis soumis au vote, j'étais contre l'inversion du calendrier de l'élection présidentielle et des législatives. L'argumentation de Robert Badinter ne me satisfaisait pas. Je pressentais que ce n'était pas une bonne chose et que cela se retournerait contre nous. J'ai toujours été méfiants de toutes les réformes électorales, des découpages ou charcutages… Les majorités quelles qu'elles soient le font pour favoriser les futures élections. Or cela ne se passe jamais comme prévu."

Le restaurant du Sénat
"Il y a un menu à 22 euros"
"Il y a plusieurs salons en fonction des groupes parlementaires. Le salon principal est pour les sénateurs les plus nombreux, donc pour le groupe socialiste. Nous avons déménagé au fur et à mesure des années, en fonction de notre nombre. Vous n'avez pas besoin de réserver, vous allez à votre table. Le mardi et le mercredi, il y a tous les collègues. Ensuite, à titre personnel, vous pouvez déjeuner avec la presse, avec d'autres élus. Il y a deux menus : un du jour, avec 3 ou 4 entrées, 3 plats ; et à côté il y a des trucs un peu plus sophistiqués. C'est très bon. Ça coûte 22 euros."

Les à-côtés
"Un coiffeur, une salle de gym"
"Il y a un coiffeur, c'est déjà pas mal. Je ne vais que là d'ailleurs. C'est 18 euros la coupe. Il y a aussi une salle de gym, qui est beaucoup plus utilisée par le personnel du Sénat que par les parlementaires."

Les évolutions du Sénat
"La convivialité s'est estompée"
"Quand je suis arrivé en 1996, nous n'étions pas nombreux dans le groupe socialiste. Mes collègues provinciaux m'ont vraiment chouchouté. Le soir, on allait dîner ensemble, ils m'expliquaient le fonctionnement du Sénat. Au fur et à mesure des élections, le groupe socialiste s'est étoffé, et cette convivialité s'est estompée. L'ambiance est moins fraternelle, moins conviviale, plus individualiste. Le raccourcissement du mandat a changé l'ambiance de la maison. Il y a moins de sagesse, le Sénat s'est beaucoup plus politisé. On a à peine terminé, que les gens pensent déjà au prochain renouvellement. Le renouvellement, c'est à la fois un avantage et un inconvénient."

La manière de voter
"Au Sénat, nous n'avons pas de bouton"
"Je ne me suis jamais trompé. Chez nous, ce n'est pas arrivé souvent. Une fois un chef de file centriste ou radical, qui n'était pas là depuis longtemps et devait voter pour ses collègues, s'est trompé. Ça avait inversé le vote. Mais depuis 1996, la manière de voter n'a pas changé. Vous avez le vote assis-debout. Le scrutin public où le chef de file de chaque groupe prend les bulletins de ses collègues et les met dans l'urne. Ou le scrutin public à la tribune où chacun va déposer son vote, avec la possibilité d'avoir une procuration. Le Sénat, c'est un peu vieillot, nous n'avons pas de boutons. Ce n'est pas électronique."

Le sénateur le plus marquant
"Charles Pasqua, avec le pastis"
"A mon arrivée, j'étais à la buvette. En sortant, je vois Charles Pasqua en face de moi, entouré de quatre ou cinq hommes de son gabarit. Il me dit : "C'est toi le successeur de Gérard Gaud?" (décédé en 1998, Ndlr). Il me demande ce que je fais dans la vie. Je lui réponds que j'étais premier adjoint au maire de Romans, président de ceci, de cela… "Mais je te parle pas de tes mandats électoraux. Professionnellement, tu fais quoi?" "J'étais directeur d'un lycée agricole" "Et tu es socialiste?" Et là, je ne sais pas ce qui me prends, je me tourne vers lui et dis : "Ecoutes Charles, toi c'est le virus RPR qui t'a piqué, moi c'est le virus socialiste." Charles Pasqua me prend par l'épaule et me dit : "Ecoute, cette année, il faut que tu m'invites dans la Drôme. Parce que ton collègue Jean Besson et ton prédécesseur Gérard Gaud, je les ai invité dans le Var, pour les truffes. Et les truffes, c'est plus important que les virus!" Deux jours après, on se rencontre à la buvette et Pasqua lance : "Est-ce que je peux m'asseoir avec un socialiste?" Et à midi, on en était au pastis."

Le ministre le plus marquant
"Dominique Strauss-Kahn, assez impressionnant"
"Strauss-Kahn. Lors des questions au gouvernement, le jeudi après-midi, Dominique Strauss-Kahn se levait, boutonnait sa veste et répondait, applaudit presque par tout le monde. Le tout sans papier, sans rien du tout. C'était assez impressionnant. Je le dis en plus de façon très objective, car je ne suis pas strauss-kahnien."

Les relations avec les collègues
"Des amis dans l'opposition"
"Pour moi, il y a le débat politique en séance, à la buvette, et ensuite il y a les affinités entre les hommes. J'ai de très bonnes relations avec des collègues non-inscrits, UMP, centristes, écologistes… En séance, on défend son point de vue. Idem dans une discussion politique. Mais après, il y a les rapports humains. Quelques personnes de l'opposition sont devenues des amis."

La réserve parlementaire
"Aujourd'hui, c'est beaucoup plus transparent"
"Depuis le président Bel (depuis 2011 donc, Ndlr), chaque sénateur doit toucher entre 130.000 et 150.000 euros. L'enveloppe globale est donnée au groupe. Ensuite, chaque groupe s'organise comme il l'entend. Nous, c'est 120.000 euros par sénateur socialiste. Pour la distribution, l'argent est donné aux président et vice-président des commissions, qui gère chacun la moitié des sénateurs socialistes dépendant d'eux. Ce n'est pas à eux, ce sont juste des relais. Avant cela, c'était un peu le 'système démerde'. Moi je me suis toujours bien démerdé. J'ai récupéré mon dû, et même beaucoup plus. Je n'en ai pas pris à mes camarades. C'est le président du Sénat, Christian Poncelet (1998 - 2008, Ndlr), qui m'a fait bénéficier de sa dotation. Parce que j'avais de bons dossiers! Aujourd'hui, c'est beaucoup plus transparent."

Les avantages pour la suite
"On a sa retraite, point à la ligne"
"J'ai cotisé 18 ans en tant que sénateur. Et j'ai aussi cotisé de façon supplémentaire. J'aurai ma retraite qui devrait s'élever aux alentours de 7.000 euros. On a sa retraite et point à la ligne. J'aurai aussi le titre de sénateur honoraire."

L'exercice dans la majorité
"Une majorité sénatoriale, mais pas gouvernementale"
"Je connais cette situation depuis 2011, mais avec la complexité : une majorité sénatoriale, mais pas une majorité gouvernementale. Les communistes, les écolos, les radicaux de gauche ne votent pas toujours avec nous. A titre personnel, c'était plus aisé d'être dans l'opposition. Là, à chaque fois, il faut négocier, discuter, avec les aléas des hommes, la complexité des groupes où tout le monde n'est pas unanime. Il faut compter ses voix. C'est beaucoup plus compliqué. C'est une évolution importante."

Le bilan de 18 années
"Je n'ai pas de regret"
"Quand vous achevez un mandat local, vous voyez ce qui a été réalisé. Alors que quand vous terminez un mandat de parlementaire, vous avez du mal à trouver ce qui a été réalisé. C'est noyé dans la masse. Et les choses sont moins personnelles que dans une ville. Au Sénat, vous vous battez sur un projet de loi. Mais lorsqu'un nouveau gouvernement arrive, hop tout cela change. Ce n'est pas un regret, c'est un constat. Je n'ai pas de regret. J'ai fait deux ans en tant que suppléant (1996-1998). En 1998, j'ai été réélu jusqu'à 2008. Puis, une nouvelle fois de 2008 à 2014. C'est passé très rapidement. Je trouve que la vie passe trop vite."


mercredi 24 septembre 2014

Bernard Piras
Bernard Piras au coeur de la Haute-Assemblée. (Jérôme Mars pour le JDD)

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