Dans la rubrique : "Billets d’humeur" Je me suis retrouvé, presque par
hasard, à la tête d’une négociation pour sortir d’un sévère conflit qui
opposait les personnels d’un hôpital à leur direction générale. J’ai passé
plusieurs jours sur place pour écouter tous les acteurs et en particulier les
cadres, et les personnels.
L’insupportable pression !
Dans tous les services les plaintes étaient identiques. Une pression sur le
travail qui le rend insupportable. Quelques exemples : Les cadres reçoivent des
ordres pour mettre en œuvre des plannings nouveaux auxquels ils n’ont pas été
associés. Ceux qui protestent sont changés de service et lorsque le changement
n’est pas possible, les échanges entre le cadre et la direction se résument en
des ordres descendants sans remontées possible. Les agents qui apprennent ces
changements protestent, du moins les seuls titulaires de leurs postes. Les
nombreux contractuels subissent sans broncher car ceux qui ont posé des
questions n’ont pas retrouvé leur emploi. Alors plus personne ne dit rien par
peur d’être muté, licencié ou simplement écarté de toute responsabilité. Nous
pourrions qualifier cet exemple de régime totalitaire. J’ai parlé de féodalité
et de servitude tellement les rapports entre ce directeur, (en l’occurrence
une directrice) et les personnels tenaient du pouvoir suprême sans partage
possible.
Les cadres disloqués !
Ce management à ce point extrême reste heureusement marginal dans les
établissements hospitaliers. Mais à ne pas y prendre garde la dérive peut
toucher toutes les situations. Tous les hôpitaux ont placé leurs cadres sous
pression descendante. D’en haut ils reçoivent les ordres : « Il faut que… »,
et lorsque le cadre remonte ses difficultés, il entend toujours d’en haut
« Ils n’ont qu’à…. » Progressivement les échanges deviennent tendus entre
ceux qui demandent et ceux qui passent leur temps à répondre, « je ne peux
rien faire ». L’engagement des personnels hospitaliers, leur attachement à
la qualité de leur travail les rendent exigeants. Alors la tension continue de
monter. Le verbe se fait plus haut. Le cadre, est disloqué entre les exigences
de qualité réclamées par les agents et les contraintes économiques qui lui sont
imposées par sa hiérarchie. S’il accède aux demandes des agents il trahit la
mission imposée par ses supérieurs. Il risque la disqualification. Alors pour ne
pas trahir cette confiance souvent rétribuée - par exemple presque 50% de la
rémunération de directeur d’hôpital dépend directement de son état de soumission
aux ordres qu’il reçoit de l’Agence Régionale de Santé – leurs compétences
s’étiolent pour laisser place à une autorité de moins en moins comprise. Sans
bénéficier des mêmes conséquences pécuniaires, les cadres « d’en dessous », ceux
que l’on désigne comme des cadres de proximité, répercutent cette pression sur
les équipes qui se trouvent alors confrontées à un dilemme cornélien.
- Soit abandonner les exigences de qualité en se réfugiant dans le « je-m’en-foutisme ». On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a et qu’importe le résultat ;
- soit s’opposer à ces cyniques réponses en imposant la discussion sur ce travail de qualité empêchée. Alors s’engage un rapport de force qui n’est pas souvent accepté. « Comment osez-vous ! »
Si l’évaluation professionnelle s’invite dans ce
bras de fer alors il y a de forte chance pour que les ambassadeurs de la qualité
soient relégués dans des formules du style « A du mal à s’intégrer dans le
collectif de travail » ou bien encore » doit faire des efforts pour
partager les objectifs du service ». Beaucoup baissent les bras et
progressivement, la parole n’est plus un vecteur de qualité mais une
échappatoire aseptisée de toute réalité. « Ca va ? Ca va! »
Cela peut donner naissance à un conflit larvé dans lequel le cadre contourné,
s’il n’est pas lui-même atteint du syndrome du « je-m’en-foutisme », va
transformer son rôle de manager (mener avec ménagement) en autorité mal
placée !
Ça va ? Non ça ne va pas !
Comment recevoir et prolonger cette réponse inattendue à la banale question d’une première rencontre quotidienne ? « - Ça va ?- Non ça ne va pas ! »
Souvent désarmé, l’interlocuteur poursuit ses pas en esquivant la réponse, ou
se noie dans des circonvolutions oratoires souvent maladroites. Mais lorsqu’un
cadre, un employeur, un directeur est percuté de plein fouet par cette réponse
il se doit d’y porter attention.
Dans la sphère du travail, le « non ça ne vas pas », est un appel
adressé à son supérieur pour accéder à la qualité empêchée ou, tout au moins,
une espérance formulée pour accéder à la qualité du travail. Elle ne doit pas
être écartée d’un revers de phrase sous aucun prétexte. Qu’il s’agisse
d’un agent, d’un cadre ou d’un syndicaliste, l’expression du mécontentement doit
faire l’objet d’échanges constructifs et apaisés. Il en est ainsi pour
tous ceux qui pratiquent le dialogue et qui respectent toutes les formes
d’expressions pour revendiquer le meilleur. Dans le conflit qui opposait cette
directrice à son personnel et à ses cadres, le protocole de fin de conflit
invite toutes les parties à discuter du travail et de son organisation. Comme
l’écrit la Haute Autorité de Santé (HAS) il ne peut exister de qualité des soins
s’il n’y a pas de bonnes conditions de travail.
Alors pour que le management ne tue pas le travail de qualité, il faut qu’il pratique l’écoute apaisée et constructive des mécontentements.
Denis Garnier
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